Comme nombre de gens de ma génération, mon premier contact avec le Japon s'est fait par le biais de dessins animés, exactement comme les jeunes Japonais avaient découvert l'Occident en lisant Sherlock Holmes et Alexandre Dumas un siècle plus tôt. Dans les deux cas, la traversée a été longue et éprouvante, et les voyageurs ne sont pas arrivés indemnes. Aujourd'hui, voyage retour.
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Parmi le flot de dessins animés japonais diffusés à la télévision pendant mon enfance et mon adolescence, j'ai été particulièrement marqué par Nadia - le secret de l'eau bleue. Nadia est une série inspirée de 20000 Lieux sous les mers et de L'Île mystérieuse de Jules Verne, légèrement saupoudrés d'Atlantis, d'Albator et de steampunk.
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(Si vous avez manqué le début...)
Entre temps, Anno et Miyazaki s'étaient rencontrés dans des conditions rocambolesques : Anno, récemment mis à la porte de son université pour avoir passé plus de temps à travailler sur Macross que pour ses professeurs, répond à une petite annonce désespérée de Miyazaki qui manque d'animateurs pour finir Nausicaä. Le travail d'Anno est si impressionnant que Miyazaki lui confie l'animation d'une des scènes les plus complexes du film.
Nadia est aussi et surtout la première réalisation d'Hideaki Anno, le futur réalisateur de Neon Genesis Evangelion. A l'origine de la série, il y a une proposition faite dans les années 70 par un jeune Hayao Miyazaki pour adapter 20000 Lieues sous les mers avec une héroïne féminine pour les studios Toho. Ca se serait appelé Le Tour des mers en 80 jours. Le projet avorte, mais certaines de ses idées seront finalement intégrées à Conan, le fils du futur et au Château dans le ciel. Les restes du projet originel sont confiés à la fin des années 80 au jeune studio Gainax, qui en tirera une série en 39 épisodes, Nadia, le secret de l'eau bleue.
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1889. Jean Rocques Raltiques, un jeune homme qui rêve de machines volantes et dont le père est mort en mer, quitte sa Normandie natale pour aller concourir à l'exposition universelle de Paris dans la catégorie des aéroplanes. C'est là qu'il rencontre Nadia, une jeune acrobate poursuivie par d'étranges bandits, Grandis Granva et ses sbires, qui en veulent à son pendentif, l'Eau bleue. Nadia échappe au gang Grandis grâce à l'avion de Jean puis, après quelques péripéties, tous deux rejoignent une expédition chargée de traquer des ‘monstres marins’ qui sévissent depuis plusieurs années. Jean espère découvrir les monstres qui ont tué son père, et Nadia voudrait rejoindre l'Afrique, dont elle croit être originaire.
Une fois en mer, en fait de monstres, nos deux héros se trouvent pris au milieu d'une bataille titanesque entre deux sous-marins. Leur pauvre cuirassé n'est pas de taille à lutter, et ils doivent abandonner le navire. Ils sont recueillis par l'un des sous-marins, le Nautilus. A son bord, ils apprennent que le capitaine Nemo et son équipage mènent une bataille sans merci contre les néo-Atlantes, leurs sous-marins et leur chef Gargoyle, qui veulent réduire l'humanité en esclavage.
D'abord prisonniers de Nemo, puis ses invités, Jean et Nadia deviendront progressivement des membres à part entière de l'équipage du Nautilus. A l'épisode 5, ils retrouvent le gang Grandis sur une île artificielle, Balkenya, où Gargoyle et ses sbires sont en passe de réactiver la tour de Babel, une arme terrifiante.
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Notion forgée face à un manège forain orné de Batman, Flash McQueen et Beyoncé.
Sur Balkenya, les légers remous qui agitaient la surface lisse de Nadia deviennent un bouillonnement. Nos héros, confrontés au surnaturel, à l'horreur meurtrière du fascisme et à leur amour naissant, doivent soudain se découvrir adultes. Les proportions épiques de l'intrigue se révèlent au milieu d'un constant changement de ton. On passe de la pitrerie à l'emphase sans avoir le temps de respirer, en même temps que l'histoire commence à diverger nettement de celle de 20000 Lieux sous les mers pour plonger dans un délicieux syncrétisme pop. L'île est d'inspiration manifestement bondienne et on y trouve, en plus de nombreux sbires masqués et anonymes construisant une arme secrète, des références bibliques et des éléments fantastiques à la limite du new age. Par bien des aspects, Balkenya est aussi extrêmement proche de l'île Panorama de Rampo : artificielle et coiffée d'un palais magnifique et d'un jardin où le grand méchant trône, tandis que ses esclaves triment en coulisses.
Le retour du gang Grandis vient ajouter à tout cela une couche de nostalgie rétrofuturiste : le design du Gratan fait ouvertement référence aux manga des 60s et 70s, tout comme la bande son jazzy et le chara design de Sanson et Hanson, qui rappelle Lupin III.
Après avoir tenté à nouveau de s'emparer du pendentif de Nadia, Grandis, Sanson et Hanson finissent par s'allier avec elle et Jean pour faire capoter les plans de Gargoyle et détruire l'île de Balkenya. Au passage, ils sauvent une petite orpheline, Marie, et tous rejoignent le Nautilus. L'équipage est au complet, l'histoire peut vraiment commencer.
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Jusqu'à l'an dernier, je n'avais jamais réussi à voir Nadia en entier. Dans les années 1990, les conditions de diffusion étaient si erratiques que je n'arrivais pas à suivre, en dépit du fait que je consacrais la majorité de mes heures de veille à regarder la télévision. La série passait sur la 5 (époque Berlusconi) et nous arrivait via l'Italie, où elle avait déjà été censurée pour le jeune public européen. Les équipes françaises travaillaient donc à partir d'épisodes déjà coupés et en Italien ; leurs traductions étaient basées sur des scripts rédigés en anglais médiocre par la production japonaise. On coupait encore quelques scènes de mauvais goût et petites culottes, en tentant de camoufler au mieux les idiosyncrasies japonaises - “Ah tiens mais pourquoi est-ce que je saigne du nez, moi ?” - ce qui ne manque pas de sel si on se souvient que les personnages principaux de la série sont censés être européens.
Le résultat, entre l'adaptation très libre et les scènes manquantes, est une version française désastreuse et parfois à la limite de l'incohérence. Le lecteur aussi attentif qu'intrépide se souviendra peut-être que Kuroiwa Ruiko travaillait à partir d'un texte déjà traduit en anglais, lui aussi, puisqu'il ne parlait pas français. Mais là où Ruiko malmenait des oeuvres pour servir une cause ultérieure, le massacre de Nadia s'est fait sans autre raison qu'un désintérêt complet pour l'oeuvre originale. Tout cela n'était, après tout, qu'un dessin animé acheté en gros, c'est-à-dire une manière commode de remplir sa grille de programmes à peu de frais.
Les horaires de diffusion des nouveaux épisodes changeaient souvent, et les épisodes déjà diffusés servaient à faire du remplissage à d'autres moments de la semaine, si bien que je voyais souvent le même plusieurs fois, mais pas la suite. Le programme télé ne m'aidait guère à m'y retrouver. La rédaction de Télérama aurait préféré se faire arracher les ongles à l'ouvre-boîte rouillé que de traiter un dessin animé japonais diffusé sur la 5 avec autre chose que du mépris. Je bénissais les dieux lorsqu'ils daignaient indiquer qu'une série serait diffusée dans telle ou telle émission, je n'aurais jamais osé rêver qu'ils puissent aussi donner l'horaire précis ou le numéro de l'épisode.
Dix ans plus tard, quand l'ADSL et bittorrent ont mis à ma portée l'infini du divertissement, j'ai préféré dévorer de nouvelles séries animées plutôt que de revoir celles dont j'avais gardé un souvenir confus. C'était loin, l'enfance. Je pouvais enfin choisir ce que j'allais voir, et il était hors de question que je m'aligne sur les choix de programmation de TF1 et la 5 - il y avait forcément mieux à voir, plus pointu, plus bizarre, plus obscur. Et quand, la trentaine venue, j'ai soudain jeté un regard neuf et humide sur mon enfance enfouie, j'ai préféré redécouvrir Rocky III et L'Arme Fatale 2 que télécharger Nadia et le voir une bonne fois pour toutes. La vérité, c'est que j'avais peur de ce que j'allais découvrir.
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A l'époque, une bonne part de la fascination que Nadia exerçait sur moi venait de ce que j'étais terrifié par l'ampleur de la série, dont les ambitions ne pouvaient être complètement camouflées, même par la traduction la plus cavalière et les conditions de diffusions les plus erratiques. La vision fragmentaire et incohérente que j'avais du récit me le rendait plus mystérieux, plus impénétrable, et donc plus fascinant encore.
Et ça c'est seulement pour les ‘gentils’.
Nadia, c'était sérieux. L'ambiance était lourde, les thèmes abordés nettement plus graves que ceux des autres séries animées dont j'avais l'habitude : dans Nadia on parle de guerre, d'annihilation de l'humanité, de suicide, de blessures secrètes, d'enfants morts et de parents absents, de vies qui ne sont plus vécues que pour la vengeance.Et ça c'est seulement pour les ‘gentils’. Plus insidieusement, j'étais profondément déstabilisé par le mélange des genres, des tons et des références qui caractérise Nadia, et qui sera poussé à son comble dans Evangelion. Thomas Lamarre parle d'un brouillage des codes qui conduit à une impossibilité de déterminer le bon cadre interprétatif, et si son livre m'aurait sans doute semblé ridicule à l'époque, aujourd'hui je comprends bien ce qu'il veut dire.
le vrai cinéma, hein, celui avec des stars et des flingues et des poursuites, pas les trucs italiens imbitables de mon père ni les Lubitsch de ma mère.
A 12 ans, les catégories étaient très claires dans ma tête : il y avait d'un côté le domaine de mes parents, celui de l'école, des livres et de la culture, et de l'autre côté de la ligne il y avait mon royaume, la télé, le cinéma le vrai cinéma, hein, celui avec des stars et des flingues et des poursuites, pas les trucs italiens imbitables de mon père ni les Lubitsch de ma mère., la console et le vidéoclub. Les deux mondes ne se parlaient guère, sinon pour s'envoyer des vannes.
L'attitude de Nadia vis-à-vis de la culture officielle était inconcevable – une relecture ni moqueuse, ni déférente, qui prenait ce qu'elle voulait et laissait tout le reste derrière elle sans le moindre remord. Ni mépris, ni humilité paralysante, Nadia traitait Jules Verne, la Bible et les Grecs comme s'il s'était agi de la mythologie flexible des vampires ou de Terminator. Je n'étais pas certain de ce que j'étais en train de voir, mais ma vision du monde s'en trouvait profondément ébranlée.
La fameuse attaque du calamar géant, la visite des ruines de l'Atlantide, l'existence de gigantesques couloirs sous-marins situés sous les continents, etc.
Je n'osais pas partager mon enthousiasme avec mes parents ou chercher auprès d'eux un éclaircissement des références qui me demeuraient obscures, de crainte qu'elles s'avèrent banales ou qu'ils les trouvent de mauvais goût. J'avais très peur du jugement que porterait mon père, vernien fervent, sur cette relecture d'un des romans favoris de son enfance, roman qu'il avait bien tenté de me faire lire mais qui, à ma grande honte, m'était tombé des mains. Nadia semblait confirmer tout ce que Télérama et ses lecteurs pensaient des anime : un pillage idiot de nos grands auteurs, où des extraterrestres androgynes et des adolescents aux yeux immenses viennent saloper la pureté du génie français. Je n'avais pas lu Verne et je n'aurais pas pu montrer à mon père avec quelle révérence Anno traitait les oeuvres originales, multipliant hommages et références, et travaillant au contraire à conserver intacts le plus d'épisodes et d'idées de 20000 Lieux sous les mers.
D'après Thomas Lamarre, si la sexualisation du personnage de Nadia a participé au succès immédiat de la série, l'obsession malsaine qui en a résulté chez certains fans a contribué à faire sombrer Hideaki Anno dans la dépression.
Ajoutons à tout cela une héroïne que je trouvais particulièrement, hum, émouvante, sans pouvoir imaginer un instant que cela procède d'une volonté délibérée de la production d'émoustiller ses jeunes spectateurs et non d'une perversion de mon esprit dévoyé, et on saura enfin de quoi j'avais si peur : j'étais terrifié à l'idée d'être déçu. Je craignais de me retrouver face à un récit bien moins grandiose et épique que ce qu'une version censurée, fragmentaire, et doublée en dépit du bon sens m'avait laissé imaginer.
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Au Japon, Nadia a connu dès le début un succès retentissant, si bien que peu de temps après le début de la diffusion, la Toho a commandé à Gainax 10 épisodes supplémentaires à insérer avant la fin prévue, pour profiter au maximum de la popularité de la série et de son héroïne. Anno, déjà en retard et hors budget, profite de cette aubaine pour se concentrer sur la fin de la série et sous-traite les 10 nouveaux épisodes à des studios et chinois et coréens low cost. Ce sont les épisodes numérotés 24 à 33. On les appelle généralement ‘Les épisodes sur l'île’. Tout le monde les déteste.
A l'épisode 21, le Nautilus tombe dans une embuscade : toute la flotte de sous-marins de Gargoyle fond sur lui, tandis que la base aérienne des néo-Atlantes le bombarde. Avant que son vaisseau ne soit complètement détruit, le capitaine Nemo enferme Nadia, Jean et Marie dans sa cabine et la sépare du reste du sous-marin pour les sauver. C'est à cette occasion qu'on apprend que Nemo est le père de Nadia, et comment il en est venu à prendre la tête de la lutte contre Gargoyle.
Lorsqu'ils font surface, les jeunes héros échouent sur une île apparemment déserte où ils passeront les 10 épisodes suivants. Ces épisodes se distinguent nettement du reste de la série. Le graphisme des personnages est simplifié, le rythme s'alanguit, les dialogues deviennent poussifs. Les hurlements en superdeformed viennent remplacer les péripéties audacieuses et complexes du début de la série.
J'ai toujours trouvé ridicules les noms ‘occidentaux’ des personnages de dessins animés japonais ("Jean Rocque Raltiques" ?), mais à bien y regarder ils sont simplement verniens. Les héros de l'île mystérieuse, par exemple, sont l'ingénieur Cyrus Smith, son domestique Nab, le journaliste Gédéon Spilett, le marin Bonadventure Pencroff et l'adolescent Harbert.
Jean et Nadia baptisent l'île Lincoln, exactement comme L'Île mystérieuse, et les épisodes qui suivent, pour être laborieux, n'en reprennent pas moins fidèlement la trame et les péripéties du roman de Jules Verne. “Jean calcule la position de l'île comme le fait Cyrus en s'aidant de la position des étoiles”, explique Bounthavy Suvilay. “Et comme dans le roman, Nadia et Jean trouvent un autre naufragé nommé Ayrton, avant de découvrir la présence d'un engin merveilleux (le Nautilus dans le récit, la Noah pourpre dans l'anime) et de devoir quitter les lieux précipitamment car tout est englouti par les eaux. Dans le roman, cela est dû à̀ une éruption volcanique. Dans la série, c'est lié au fait que l'île n'est autre que la Noah pourpre, vaisseau atlante qui dérive sur les océans et qui s'est peu à peu recouvert de végétation.”
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La révérence avec laquelle Anno traite Jules Verne ne doit tout de même pas faire oublier les différences fondamentales entre son récit et ceux dont il s'inspire. Dans Nadia, le positivisme béat des personnages de Verne est implicitement mis en doute - la science entre les mains des hommes n'est pas nécessairement source de progrès. Les inventions de Jean ou la technologie des Atlantes sont, au mieux, inutiles et bruyantes, au pire dangereuses. Nadia s'en méfie toujours et ne prétend jamais les comprendre, ni les maîtriser. Les autres personnages voient dans son attitude une forme d'obscurantisme vaguement superstitieux, qu'ils classent avec son refus de manger de la viande aux rangs de caprices d'une jeune fille excentrique et naïve, plus ou moins arriérée, et que la dureté du monde ne manquera pas de venir déniaiser. Sur ce dernier point, la fin de l'histoire leur donnera malheureusement raison.
En nous montrant des personnages, Jean notamment, émerveillés par l'électricité, les rivets plats et les machines volantes, Anno nous met dans une position ambiguë : les réticences du personnage de Nadia face à la technologie sont présentées comme ridicules, alors que l'émerveillement de Jean paraît sincère et justifié. Mais avec un siècle de recul, nous spectateurs sommes capables de trancher la querelle qui agite les personnages : nous savons bien, nous, ce qu'il est advenu des savants de 1890 et de leurs rêves de progrès. Nous savons bien comment ça s'est fini.
C'est le sens de l'anachronisme manifeste des technologies des Néo-Atlantes. Si le Nautilus, avec son blindage en fibre de mirabilium et son moteur à métaprotons – ou que sais-je – est ouvertement du côté du merveilleux, les méchants empruntent simplement leurs armes et leurs stratégies aux militaires du siècle à venir. Nous reconnaissons les mitrailleuses de leurs soldats, les bombes qu'ils larguent par dizaines et leur flotte de sous-marins tous identiques parce qu'ils nous sont tristement familiers. Paradoxalement, même leur espèce de laser orbital était, au début des années 90, un souvenir encore tout frais, reliquat de la démesure des années Reagan. Les néo-Atlantes de Gargoyle n'ont finalement rien de très exotique : ils sont une société militaro-industrielle menée par un leader martial qui gouverne au nom d'un empereur fantoche - c'est-à-dire, à peu de choses près, le Japon des années 30.
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A l'avant-dernier épisode de Nadia, la bataille finale entre le New Nautilus de Nemo et le Red Noah de Gargoyle commence au-dessus de Paris - un Paris étrangement lisse et vide, topographiquement et stylistiquement très approximatif, et dont le pan-hausmannisme rappelle un peu L'Étrange cas du Dr Abraham.
On reviendra plus tard sur les récits de Naoki Urasawa, qui mettent souvent en scène des personnages japonais exilés en Occident.
Dans les années 90, avant que Miyazaki ne soit adoubé ‘auteur’ en Occident, il était parfois fait reproche à lui ou Anno de situer leurs oeuvres en Europe ou de leur donner des personnages ‘blancs’ pour faciliter leur exportation. C'est un contre-sens complet. D'abord, les studios de dessins animés japonais ne se souciaient guère d'exporter. Ils vendaient volontiers leur production à des télévisions européennes, mais ils travaillaient avant tout pour leur marché intérieur. Ensuite, et surtout, la France dont les chaînes de télé diffusaient des anime et la France où se rencontrent Jean et Nadia n'ont rien de commun. L'Europe de Nadia c'est l'Europe vue depuis le Japon de Meiji, une contrée lointaine et fantastique, encore inconnue mais portant la promesse d'un avenir radieux, à mille lieux des rues dégueulasses et inquiétantes du Paris réel.
Le Japon de Meiji avait un slogan : 和魂洋才, ‘culture japonaise, technologie occidentale’. C'est de cette promesse-là que les Japonais ont la nostalgie : un moment merveilleux, triomphant, innocent, où tout était encore possible. Ils ferment les yeux et se souviennent de la modernité positiviste à laquelle ils ont tant aspiré, derrière laquelle ils ont couru pendant toute l'ère Meiji, et que le grand tremblement de terre de 1923 leur a arraché, au moment même où il croyaient la toucher enfin du doigt. Et si la démocratie de Taisho s'était prolongée ? Et si le vieil Edo n'avait pas été réduit en poussière ? Et si les militaires avaient quitté le pouvoir au lieu de se l'accaparer ? On ne le saura jamais, mais il n'est pas interdit de rêver.
Les Japonais ont la nostalgie du futur qu'on leur avait promis et qui n'est jamais venu. Peu importe qu'il n'ait été qu'un mirage. Peu importe que la Furansu des feuilletons de Kuroiwa Ruiko n'ait jamais existé. Avec Nadia, ce n'est pas Paris qu'Hideaki Anno a reconstruit. C'est Asakusa et son Panorama Building.
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Où tout commence, encore, par un souvenir d'enfance.
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